Quel chef d’orchestre êtes-vous ?

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La chronique d’Éléna Fourès, expert en leadership et multiculturalité, fondatrice du cabinet IDEM PER IDEM.
elena.foures@idem-per-idem.com

C’est un art de canaliser l’intelligence collective en gérant des expertises techniques diverses. Que ce soit dans un grand ensemble contenant jusqu’à une centaine de musiciens – comme les grands groupes de cent mille personnes – ou une formation de chambre d’une dizaine d’instrumentistes – comme des PME – partout le chef d’orchestre et le DG doivent gérer les égos et les visions contradictoires de ceux qui veulent se la jouer « solo »…

En poursuivant ce parallèle, je m’appuierais sur la citation suivante : « Les chefs d’orchestre se divisent en trois catégories : ceux qui laissent jouer, ceux qui font jouer et ceux qui empêchent de jouer. ».

La première catégorie – qui laisse jouer – octroie aux musiciens une « laisse longue » en leur permettant des initiatives, une marge de manœuvre raisonnable pour interpréter l’œuvre musicale. Elle fait confiance à leur expertise technique et à leur capacité à traduire l’intention du compositeur. La vedette ici est à la musique, et le chef d’orchestre est à son service. Le dirigeant dans cette convention fait confiance au professionnalisme et cherche à développer l’ownership de ses équipes, en faire des acteurs à part entière. Il renforce, canalise et oriente l’intelligence collective de façon bienveillante, ce qui résulte en créativité, plénitude et réalisation de soi de l’équipe. Le vecteur du rapport de force avec les N-1 est « bottom up ». Cette posture de dirigeant est typique du leader dit « inspirant », un standard de leadership plébiscité par les jeunes générations.

La deuxième catégorie – qui fait jouer – impose sa vision et sa façon de faire et dicte son interprétation comme une règle. La « laisse » est plus courte, le musicien devient un exécutant technique, un simple moyen. Le chef d’orchestre fait littéralement marcher ses musiciens « à la baguette » (obligés de lui obéir à doigt et à l’œil). La vedette est ici le chef d’orchestre, et non pas la musique, qui, elle, est à son service. La deuxième configuration est donc diamétralement opposée à la première. Le vecteur du rapport de force est « top down », donc attirer et garder les meilleurs devient plus difficile. Le dirigeant dans cette configuration est presque toujours en posture d’Expert, il manque de hauteur, de stature et renvoie au standard démodé du leader dominant.

La troisième catégorie – qui empêche de jouer – traumatise les musiciens. La « laisse » devient un « collier étrangleur » : le chef critique, détruit, humilie les musiciens, interdit l’expression de leur individualité, fonctionne sur un mode d’opposition souvent violente. Dans l’entreprise cela se traduit par un manque de confiance et une gestion de crise permanente. Le vecteur du rapport de force est alors une impasse, un goulot qui sert à asphyxier les N-1. Derrière ce « terrorisme managérial » se cachent souvent des profils toxiques, ou des dirigeants qui cherchent à détourner l’attention de leurs propres failles. Ils sont incarnés du côté de la Personne du Triangle IdentitaireTM et transfèrent leurs névroses personnelles dans la sphère professionnelle.

Pour conclure, j’emprunterai ce conseil à Herbert Von Karajan, illustre chef d’orchestre du 20ème siècle : « L’art de diriger consiste à savoir abandonner la baguette pour ne pas gêner l’orchestre. ».

A FAIRE
1// Ouvrir les yeux
Savoir quel type de manager on est soi-même est fondamental. N’oubliez pas de vérifier que votre vision de vous coïncide avec celle de vos N-1. Gare à vous si vous pensez être en première catégorie et que vos subordonnés estiment que vous appartenez à la seconde ! Le delta doit être corrigé, sous peine de mauvaises surprises.

2// Mettre les équipes en valeur
Le dirigeant est aujourd’hui attendu sur le vecteur « bottom up » et la bienveillance devient chez lui un must. Communiquez davantage sur vos motivations (pourquoi je fais cela, dans quel but) en associant les équipes à vos prises de décisions. Mettez-les en valeur (sans vous cacher derrière eux) lorsque vous êtes exposé : cela enrichira votre rayonnement de leader.

3// Pratiquer la bienveillance
Si vous voulez vraiment passer en première catégorie, commencez par le faire vis-à-vis de vous-même. « Leadership is an attitude », par conséquent il faut intérioriser cette manière de faire avant de pouvoir la pratiquer avec les autres. Est-ce que vous vous écoutez ? Votre « laisse » en interne est-elle longue ou courte ? Etes-vous bienveillant(e) avec vous-même ? Vous serez surpris de constater que votre fonctionnement interne se reflète avec les autres…

A EVITER
1//
Persister et signer
Ne pas vouloir changer vous place automatiquement en seconde ou troisième catégorie. Vous finirez par payer cher votre manque de souplesse… Ne soyez pas inutilement borné et apprenez à vous remettre en question par petites doses. Commencez par demander l’avis de votre équipe sur des sujets simples, puis plus stratégiques etc. Vous verrez à quel point la dynamique professionnelle en sera changée.

2// Confondre écoute et adhésion
Attention, laisser la parole à votre équipe ne signifie pas qu’il faille la suivre ! Toutes les idées ne sont pas bonnes à prendre. Soyez clair dès le départ sur le fait que vous devez être convaincu pour suivre une idée qui vous aura été proposée. Sachez recadrer avec bienveillance, dire non avec fermeté de manière acceptable. Bref, soyez en Fonction.

3// Devenir passif
Attention, « abandonner la baguette » ne signifie pas abandonner la Fonction ! Vous auriez vite fait d’être relégué au second plan. Exprimez clairement les moments où la discussion est ouverte, et ceux où vous allez trancher. Vous finirez par trouver un équilibre entre imposer et suivre : proposer.

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