La chronique d’Éléna Fourès, expert en leadership et multiculturalité, fondatrice du cabinet IDEM PER IDEM.
elena.foures@idem-per-idem.com
Dans la culture hexagonale, où il faut tout analyser, la frontière entre expliquer et se justifier est parfois mince.
Votre patron cherche à vous faire adhérer à ses décisions et à sa vision des choses, donc il les explique. En réalité, il est mû par le « virus mental » suivant : une fois le message compris, les équipes vont automatiquement adhérer et suivre. Or entre comprendre (intellectuellement) et adhérer (émotionnellement) il y a une différence considérable. Ainsi on peut comprendre quelque chose et ne pas y adhérer et, inversement, adhérer à une chose sans la comprendre.
L’adhésion est basée sur le fait que le leader est cru et non pas sur la compréhension de son propos.
Les officiers dans l’armée, lorsqu’ils donnent l’ordre d’attaquer, ne font pas la présentation PowerPoint aux soldats pour la leur expliquer.
Mais pour beaucoup de patrons ayant une culture d’ingénieur, la justification est un réflexe automatique de « matheux » qui leur joue des tours lorsqu’ils communiquent en fonction. Infectés par le virus mental de la justification, ils expliquent parfaitement leur vision et s’étonnent de ne pas être suivis. Persuadés d’avoir mal expliqué, ils recommencent et produisent ainsi des discours faits d’explications en boucle qui sonnent … comme une justification.
Ainsi un patron qui s’attendait à une adhésion générale après sa présentation PowerPoint de 60 slides sur la nouvelle organisation de l’entreprise, a déclaré que si les troupes ne suivent pas, c’est qu’ils n’ont pas compris et qu’il faut d’urgence réexpliquer.
C’est l’abondance des explications, et surtout leur redondance, qui donnent l’air de se justifier et sapent la crédibilité du leader. « S’il se justifie, c’est qu’il n’est pas sûr de lui » concluent les uns. « Il cherche à noyer le poisson, pour nous faire avaler ça » avancent les autres.
Le risque sur l’image et la crédibilité du leader suffirait à empêcher les patrons de se justifier en permanence, s’il n’y avait pas un autre virus mental collectif, une sorte d’amalgame « compris égal résolu » qui renforce la tendance à sur-expliquer. Ce virus pousse à chercher à comprendre d’où vient le problème au lieu de le résoudre, et crée l’illusion que trouver l’interprétation plausible de l’origine du problème équivaut à le régler. Rien de plus aberrant. La compréhension n’égale pas résolution. Par exemple, parmi les fumeurs, il y a des médecins qui comprennent mieux que quiconque l’effet néfaste de la cigarette sur la santé. Mais ils continuent à fumer malgré tout. Résoudre le problème c’est arrêter de fumer, et cela n’a rien à voir avec comprendre pourquoi je fume. La compréhension seule ne suffira pas, il faut passer par une prise de décision et avoir de la volonté.
En conclusion, pour citer Luis Fernandez, « Le succès n’a pas besoin d’explication, l’échec n’admet pas de justification ».