Ré-enchantons-nous !

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La chronique d’Éléna Fourès, expert en leadership et multiculturalité, fondatrice du cabinet IDEM PER IDEM.
elena.foures@idem-per-idem.com

La perte du sens est actuellement le sujet préféré des managers, sociologues et autres théoriciens de l’organisation. En réalité, le sens ne se perd pas matériellement mais se dévalue comme la monnaie. Sa dépréciation est particulièrement rapide aujourd’hui dans un contexte d’effondrement des valeurs de la relation entre l’humain et l’organisation.

Le sens ne disparaît pas, mais évolue, entre dans « l’open space », tandis qu’hier il était enfermé dans les bureaux exigus. Ainsi, la médiatisation qui a accompagné le « départ » de certains grands patrons fait dire à leurs subordonnés « Si on l’a traité ainsi, quid de moi ? ». La dynamique de la relation entre la personne et l’organisation change et fait apparaître une fracture : moins de confiance, plus de contrôle, moins de pouvoir, plus de suspicion, et ceci à tous les niveaux hiérarchiques, tandis que l’on prône la « transparence » et la « transversalité ». Stanislaw Jerzy Lec, poète satirique polonais écrivait « Difficile de jouer sur le double sens quand les mots ne possèdent plus aucun sens. ». Les mots mis en avant par l’entreprise perdent de leur pouvoir : c’est ce qu’on appelle le désenchantement.

Parce que le sens ne se mesure pas en unités rationnelles : le contrat de travail en est l’apogée, et pourtant personne ne vous dira qu’il y trouve le sens de son travail. A l’extrême, en URSS dans la période de son déclin, il était fréquent d’entendre « nous faisons semblant de travailler, ils font semblant de nous payer. »… Le sens se mesure et se corrèle en unités émotionnelles positives d’enthousiasme, joie, optimisme, confiance en soi et en son avenir, légitimité et envie de monter à bord. Mais qui, aujourd’hui, va au travail en sifflotant ?

Il est urgent de pratiquer le ré-enchantement si l’on veut retrouver du sens en entreprise, et donc de l’harmonie au travail. Seulement, trop souvent l’on attend que l’organisation, le management, notre patron nous « offre » le sens. Ce virus mental collectif, qui consiste à attendre les solutions de l’extérieur, caractérise des personnes en posture passive, généralement de câblage mental « référence externe ». « Malheureusement, la réalité n’est pas tellement généreuse avec ceux qui réclament d’être enchantés. » (Eric Reinhardt)…

J’aime beaucoup la parabole des deux maçons sur un chantier où, à la question « Que fais-tu ? » le premier répond « Je taille la pierre. » et l’autre « Je bâtis une cathédrale ! ». Chacun s’est fabriqué un sens qui influe sur sa météo émotionnelle intérieure : maussade pour le premier, car le travail est pénible, et brillant d’un « soleil intérieur » pour le second. Chacun de nous est donc responsable de la construction du sens et ce-dernier est corrélé à notre maturité émotionnelle. Ici le « disque dur » (le cerveau) et la « centrale nucléaire » émotionnelle sont liés et fonctionnent de concert.

J’irais même plus loin : au contact du second maçon, le premier pourra voir le sens de son travail « ré-enchanté », améliorant d’un coup la pénibilité ressentie de sa tâche, son sens et son attachement au chantier et à l’organisation qui l’emploie ! C’est, quelque part, la première étape sur le chemin d’un leadership inspirant…

A FAIRE
1// Retrouver son sens
Vous avez, sans doute, vécu des moments où vous étiez enchanté(e) dans votre vie professionnelle. Connectez-vous à ces souvenirs, un par un, avec tous leurs paramètres sensitifs (visuel, auditif, ressentis, odeur, été, hiver, émotions). Compilez ce que vous avez compris alors (les « insights »), pour en faire une « banque » de sens que vous pourrez utiliser pour vous recapitaliser si besoin.

2// Projeter sur le présent
Pour ré-enchanter la situation présente et future, il faut réévaluer son sens à la lumière des « insights » décantés de votre passé ou d’autres sphères de votre vie. Par exemple, dans votre fonction transversale, rechercher des soutiens vous est difficile, mais dans votre vie privée vous avez milité pour une cause qui vous tient à cœur. Transférez les clés de cette expérience dans votre quotidien professionnel.

3// Pratiquer le recadrage positif
Il faut régulièrement nettoyer votre « disque dur » des « virus mentaux » que l’environnement vous « envoie » comme avec votre ordinateur. Ainsi en présence de quelqu’un qui vous dit «  la vie n’a pas de sens », « on est des Kleenex » ou « ne sois pas naïf » votre « firewall » intérieur enclenche la désactivation et le recadrage : « la vie a le sens qu’on lui donne », « on a tous quelque chose d’unique » ou « je suis optimiste ».

A EVITER
1//
Attendre tout de l’extérieur
Nous sommes habitués à tout recevoir de l’extérieur, seulement le modèle de l’entreprise (et de la société) dite « paternaliste » ou « providence » (associé au leadership « dominant ») appartient au passé ! Si vous voulez survivre, il faut changer de paradigme et accepter que « Le véritable monde intérieur est le véritable monde extérieur. » (André Maurois).

2// Cultiver la grisaille intérieure
Conforme à la période de l’année et conformiste par rapport aux autres – c’est tellement plus confortable de se plaindre ! En plus, cela suscite de la sympathie et renforce le virus « plainte = positif », très français. STOP ! Après la pluie, le beau temps, car derrière les nuages le soleil reste présent. Il y a forcément une chose positive dans votre quotidien professionnel, même anecdotique.

3// Rester « suiveur »
Si chacun attend une occasion de suivre, on ne risque pas d’avancer. De même, il ne suffit pas de dire à tout va qu’il faut du ré-enchantement pour que la magie opère. Le seul moyen d’y arriver est d’en faire l’expérience en interne d’abord. Comme le disait le poète persan Rumi : « Hier, j’étais intelligent et je voulais changer le monde. Aujourd’hui, je suis sage et je me change moi-même. ».

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