« On commence tout, on ne finit rien… »

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La chronique d’Éléna Fourès, expert en leadership et multiculturalité, fondatrice du cabinet IDEM PER IDEM.
elena.foures@idem-per-idem.com

D’après la sagesse hindoue, « Ne pas commencer les choses est le premier signe d’intelligence ; mener à fin ce qui est commencé est le second signe d’intelligence ». Eviter de multiplier les choses qui risquent de ne pas aboutir serait-il le troisième signe d’intelligence ? Hélas, les trois nous font cruellement défaut.

Comment se fait-il, que l’Hexagone qui concentre tant d’intelligence collective – que, paraît-il, nos voisins nous envient – fait proliférer des projets à combustion rapide, ne laissant derrière eux que de la fumée blanche ?

Plusieurs hypothèses à ce sujet :
1/ La première est une hypothèse de nature déclarative.
On ne commence pas un projet pour l’aboutir, mais pour faire une « déclaration » selon le principe anglo-saxon « it’s a statement ». L’objectif ? Produire une impression et créer l’apparence de focus de type « we care ». Ce n’est pas un projet, mais juste de la « com », interne ou externe. Sans substance, toute initiative est condamnée à rester au stade « mort-né ».
2/ La seconde est une hypothèse de nature créative.
Les gens adorent commencer ; c’est créatif, cela aspire les personnes câblées « option », pas celles câblées « procédure ». Elles « phosphorent », produisent un feu d’artifice d’idées, passent du bon temps… Pour faire aboutir un projet il faut un plan, des échéances, une feuille de route, bref, de la structuration.
Ce n’est pas un projet, mais du loisir créatif collectif, et aussi certainement une façon de « faire sortir la vapeur » de la cocotte–minute du stress collectif. Sous pression, les gens « carburent » mais cela ne dure pas, faute du carburant. Il faut donc nourrir le moteur des équipes en continu pour arriver à clôturer un projet !
3/ La troisième hypothèse est de nature turbulatoire.
Quand on change de direction stratégique trop souvent, quand la ligne directrice fait des zigzags, les projets se multiplient sans aboutir, et des projets déjà initiés se mettent à contredire les nouveaux. Le bateau commence à tanguer, l’équipage perd le nord…
Cela provient parfois du manque de discernement entre l’important et l’urgent, et de l’incapacité à se focaliser sur l’important. Les projets représentent souvent « l’urgent » et se dévaluent rapidement. Une bonne gestion de l’agenda collectif est donc fondamentale pour régler ce problème.

Pour finir, sachez que le terrain culturel français a une certaine tolérance à ce que l’on n’aboutisse pas : « on passe à autre chose, les gars ». Pas vraiment d’obligation à finaliser dans la culture collective équivaut à une autorisation tacite. Un jour j’ai même entendu un patron dire à propos de son projet inabouti : « Après tout, il y a des chefs-d’œuvre musicaux et littéraires inachevés inscrits dans le patrimoine de l’humanité. »

A FAIRE
1// Introduire des profils mixtes dans l’équipe
Avoir à la fois des gens « câblés » option et procédure. La première catégorie veillera à initier le projet, la deuxième le structurera pour le faire aboutir. Sans la volonté de cette diversité on risque un important biais de recrutement.

2//  Structurer par date, planifier les échéances
La difficulté à structurer des latins est parfaitement symétrique à la difficulté de leurs voisins de l’est à phosphorer. Culture oblige ! Forcez-vous à mettre en place des points d’étape réguliers, et à différencier « Important » et « Urgent ».

3// Persévérer et nourrir la motivation collective
Planter une graine sans l’arroser ne donnera jamais de résultat. La motivation, l’engagement, le désir de résultat, ça se cultive. Apprenez à connaître votre équipe et ce qui nourrit son envie d’avancer : si c’est l’urgence, multipliez les étapes et les deadlines ; si c’est la reconnaissance, encouragez-les et donnez des feedbacks constructifs.

A EVITER
1// Se reposer sur ses lauriers
Vous avez mis le turbo au démarrage du projet, et vous êtes persuadés que vous arriverez à destination en roue libre. Prenez garde à ne pas vous endormir au volant, maintenez le cap jusqu’à destination et gardez toujours le pied près de la pédale d’accélération.

2// Enchaîner les nouveaux projets
Le proverbe italien le dit si bien : « Qui commence plusieurs choses, en achève peu ». Ne cherchez pas à compenser la difficulté à « boucler » un projet, en en initiant de nouveaux en permanence. Cela donne l’illusion d’avancer, mais en réalité vous ne faites que « mouliner » sur un tapis de course. Descendez-en et mettez-vous en marche.

3// Cultiver les Virus mentaux
« Aboutir = tuer le rêve » par exemple, qui fait un amalgame entre commencer/initier = le rêve, et aboutir = la réalité prosaïque. Faites comme Terminator « Search and Destroy » : identifiez les virus et détruisez-les. Dans l’exemple donné, il faut « ré-enchanter » l’aboutir, l’associer à une idée positive (libération, fête…).

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